III

 

— Byr Genar-Hofoen, mon bon ami, sois le bienvenu !

Le colonel de première classe Ami-des-Aliènes Quintidal Humidan VII, de la tribu des Hiverchasseurs, enroula quatre de ses membres autour de l’humain et le serra fortement contre sa masse centrale, plissant simultanément ses frondaisons labiales et frottant son bec antérieur contre sa joue.

— Mmmmmwwwah ! Là ! ha ! ha !

Genar-Hofoen sentit l’embrassade de l’officier de la Force Diplomatique, à travers l’épaisseur de plusieurs millimètres de combinaison gélichamp, sous la forme d’un impact modérément percutant sur sa joue suivi d’une puissante succion qui aurait pu conduire quelqu’un de moins expérimenté dans les diverses manifestations énergiques d’amitié de la part d’un Affronteur à conclure que la créature était soit en train d’essayer de lui gober les dents à travers la joue, soit en train de tester la capacité de résistance d’une combinaison protectrice de contact Mark 12 Gélichamp de la Culture face à l’assaut d’un vide partiel local destiné à l’arracher à son porteur. Ce que la puissante embrassade à quatre membres aurait pu faire à un humain non protégé par une combinaison conçue pour résister à des pressions comparables à celles qui règnent au fond d’un océan ne supportait pas que la pensée s’y arrête, mais il est vrai qu’un humain exposé sans protection aux conditions requises pour convenir à un Affronteur mourrait au moins de trois façons extraordinairement différentes et atroces sans avoir à s’inquiéter d’être écrasé à l’intérieur d’une cage formée de tentacules de l’épaisseur d’une cuisse humaine.

— Quintidal ! Heureux de te revoir, vieux brigand ! s’exclama Genar-Hofoen en donnant sur le bout du bec à l’Affronteur une claque possédant le degré voulu de force enthousiaste indiquant une bonhomie bien dosée.

— Moi aussi ! Toi aussi ! fit l’Affronteur.

Il libéra l’humain de son étreinte, exécuta une volte pleine d’une grâce étonnamment vive, puis enroula le bout d’un tentacule autour de la main de Genar-Hofoen pour l’entraîner, à travers la bruyante assemblée d’Affronteurs qui encombraient l’espace nidal de l’entrée, en direction d’une partie plus claire de la toile-membrane.

L’espace nidal était de forme hémisphérique, d’une bonne centaine de mètres de diamètre. Il était essentiellement utilisé comme salle de loisirs et salle à manger régimentale, et était décoré, pour cette raison, de fanions et bannières ainsi que de dépouilles ennemies et de tout un bric-à-brac d’armes et d’objets militaires de toutes sortes. Les parois courbes, à l’aspect veiné, étaient également ornées de plaques honorifiques de compagnies, bataillons, divisions et régiments, ainsi que des têtes, membres, organes génitaux et autres parties acceptables d’ennemis historiques.

Genar-Hofoen était déjà venu dans cet espace nidal en plusieurs occasions. Il leva la tête pour voir si les trois vieilles têtes humaines dont s’enorgueillissait la grande salle étaient visibles ce soir ; la Force Diplomatique se flattait d’avoir le tact de faire recouvrir les parties reconnaissables de tout outremondier donné lorsqu’un spécimen encore vivant de la même espèce lui rendait visite. Mais il arrivait qu’ils oublient. Il trouva les têtes, trois petits points perdus en haut d’une sous-cloison drapée, et nota qu’elles n’avaient pas été couvertes.

Il y avait des chances pour que ce soit une simple négligence, mais il était possible, également, que la chose soit parfaitement délibérée, calculée pour le troubler et le remettre à sa place, ou peut-être préméditée comme un compliment subtil mais profond indiquant qu’il était accepté comme un mâle et non comme un de ces outremondiers timorés et pleurnichards qui s’offusquaient et prenaient la mouche chaque fois qu’ils voyaient la peau d’un proche parent orner une table ou un buffet.

Qu’il n’y eût aucun moyen rapide de choisir entre ces possibilités était précisément la sorte de qualité que cet humain appréciait le plus dans l’Affront. C’était symétriquement le type de trait qui plongeait la Culture en général et ses prédécesseurs en particulier dans un désespoir sans limites.

Genar-Hofoen s’aperçut qu’il était en train de sourire bêtement en fixant du regard les trois têtes éloignées. Il espérait à moitié que Quintidal s’en apercevrait.

Les tiges oculaires de l’outremondier pivotèrent alors.

— Garçon de médeu ! hurla-t-il à l’adresse d’un jeune eunuque qui flottait par là. Viens ici, misérable !

Le serveur faisait la moitié de la taille du gros mâle, et il était exempt de marques comme un enfant, si l’on exceptait la bosse de son arrière-bec. Il se laissa dériver plus près, tremblant au-delà de ce que la politesse exigeait, jusqu’à ce qu’il arrive à portée de tentacule.

— Cette chose-là, rugit Quintidal en agitant le bout d’un membre pour désigner Genar-Hofoen, est l’homme-bête aliénatif dont tu aurais dû entendre parler si ton chef ne veut pas qu’on lui vole dans les flubes. Il a peut-être l’air d’une proie, mais c’est en fait un invité précieux et distingué, qui a besoin de se nourrir tout autant que toi et moi. Vole au buffet des animaux et des outremondiers, et ramène-nous la pitance qui lui a été préparée. Exécution !

La voix de Quintidal avait atteint des sommets qui faisaient naître de petites ondes de choc visibles dans l’atmosphère essentiellement composée d’azote. Le jeune serveur eunuque s’éloigna avec un empressement adéquat.

Quintidal se tourna vers l’humain.

— À titre de faveur spéciale, cria-t-il, nous t’avons préparé un peu de cette infecte décoction à laquelle tu donnes le nom de nourriture, ainsi qu’un bidon de ton liquide toxique préféré à base d’eau. Merde-dieu, qu’est-ce qu’on peut te gâter, quand même !

De l’un de ses tentacules, il donna une grande claque dans l’abdomen de l’humain. La gélicombe absorba le choc en se durcissant. Genar-Hofoen tituba légèrement de côté en riant.

— Ta générosité me renverse, dit-il.

— Parfait ! Comment trouves-tu mon nouvel uniforme ? demanda l’officier Affronteur en se détachant un peu de l’humain pour se déployer de toute sa hauteur.

Genar-Hofoen fit mine de l’inspecter de bas en haut. L’Affronteur adulte classique consistait en une masse de la forme d’un ballon légèrement aplati d’environ deux mètres de tour de taille sur un et demi de hauteur, suspendu sous un sac à gaz veiné, bordé d’une collerette, d’un diamètre variable entre un et cinq mètres selon le degré de sustentation désiré, et surmonté d’une petite protubérance sensible. Lorsqu’un Affronteur était en mode d’agression/défense, le sac entier pouvait se dégonfler et se recouvrir de plaques protectrices au sommet de la masse corporelle centrale. Les yeux et oreilles principaux émergeaient alors au bout de deux tiges au-dessus du bec antérieur qui couvrait la bouche. Le bec postérieur, lui, protégeait les parties génitales. L’anus/soupape de gaz occupait une position centrale sur la face inférieure du grand corps.

À la masse centrale se rattachaient, à la naissance, de six à onze tentacules d’épaisseur et de longueur variables, dont quatre se terminaient normalement par des palettes en forme de trèfle. Le nombre exact de membres d’un Affronteur mâle adulte dépendait du nombre de combats et/ou de parties de chasse auxquels il avait participé, et de leur résultat ; un Affronteur pourvu d’une série de cicatrices impressionnantes et de plus de moignons que de membres était considéré soit comme un sportif accompli, soit comme un individu brave mais incompétent et probablement dangereux, selon la réputation qu’il s’était acquise.

Quintidal était né avec neuf membres, chiffre considéré comme de bon augure dans les meilleures familles, pourvu qu’on ait la décence d’en perdre au moins un en duel ou à la chasse. Il en avait obligeamment perdu un à l’occasion d’un duel avec son maître d’armes, à l’école militaire. L’honneur de l’épouse principale du maître d’armes était en cause.

— Très impressionnant, ton uniforme, Quintidal, lui dit Genar-Hofoen.

— Oui, n’est-ce pas ?

L’Affronteur replia son corps. L’uniforme en question consistait en une multitude de larges bandes et lanières d’un matériau à l’aspect métallique, entrecroisées sur sa masse centrale et parsemées de gaines, de fourreaux et de supports contenant chacun une arme, mais scellés en vue du dîner d’apparat auquel ils étaient tous venus participer. Les disques brillants, il le savait, équivalaient à des médailles ou à des décorations. Ils étaient associés à des portraits d’animaux-trophées particulièrement impressionnants et de rivaux sérieusement malmenés. Un groupe de disques discrètement anonymes indiquait les femelles des autres clans que Quintidal pouvait honorablement affirmer avoir imprégnées avec succès ; les disques cerclés de métal précieux rendaient hommage à celles qui avaient offert une sérieuse résistance. Les couleurs et motifs des lanières affichaient le nom du clan, le grade et le régiment de Quintidal. La Force Diplomatique à laquelle il appartenait était bel et bien un régiment, et les espèces qui voulaient traiter ou avaient maille à partir avec l’Affronteur n’avaient pas intérêt à l’oublier.

Quintidal exécuta une pirouette. Son sac à gaz s’enfla et le souleva lentement au-dessus de la surface spongieuse de l’espace nidal, les membres pendants, son poids ne reposant pratiquement sur aucun d’eux.

— Ne suis-je pas… resplendissant ?

Le traducteur de la combinaison gélichamp avait décidé que l’adjectif choisi par Quintidal pour se décrire devait être rendu par un roulement sonore et grasseyant des syllabes impliquées. Cela fit sonner l’officier Affronteur comme un acteur en faisant délibérément trop.

— Positivement intimidant, reconnut Genar-Hofoen.

— Merci ! lui dit Quintidal.

Il se laissa retomber de sorte que ses tiges oculaires se retrouvent au niveau du visage humain. Elles se haussèrent puis s’incurvèrent, balayant l’homme de haut en bas.

— Ton costume, lui aussi, est différent, dit-il. Je suis sûr qu’il est très chic selon les critères de ton peuple.

La position des tiges oculaires de l’Affronteur indiquait qu’il trouvait ce qu’il venait de dire extrêmement gratifiant. Sans doute se félicitait-il de s’être montré incroyablement diplomate.

— Merci, Quintidal, lui dit Genar-Hofoen en s’inclinant.

À son point de vue, il était plutôt trop habillé. Il y avait la gélicombe, naturellement, comme une seconde peau dont il était, à la rigueur, possible de faire abstraction. Normalement, la combinaison ne présentait à aucun endroit une épaisseur de plus d’un centimètre, et en moyenne plutôt la moitié. Pourtant, elle lui assurait un bon confort, même dans des conditions plus extrêmes que celles où évoluaient les Affronteurs.

Malheureusement, un crétin quelconque avait laissé filtrer une information selon laquelle la Culture testait ces combinaisons en les Déplaçant dans les chambres magmatiques de volcans en activité et en les laissant remonter à la surface. (Le renseignement était inexact : les tests de laboratoire étaient nettement plus exigeants, même si la démonstration avait été faite une fois par un fabricant cabotin de la Culture, pour impressionner quelqu’un.) Ce n’était vraiment pas le genre de référence à brandir devant des êtres aussi exubérants et curieux que les Affronteurs ; cela leur mettait martel en tête. Bien que l’habitat affrontier où vivait Genar-Hofoen n’ait pas poussé le vice jusqu’à recréer les conditions d’une planète dotée de volcans, il y avait eu des moments, lorsque Quintidal demandait à l’humain de lui confirmer cette histoire, où il avait cru déceler dans le regard de l’officier de la Force Diplomatique une étrange lueur, comme s’il était en train de se demander à quel phénomène naturel ou à quel appareillage il pourrait avoir accès pour tester les qualités étonnamment protectrices de la combinaison.

Cette gélicombe était munie de ce que l’on désignait quelquefois sous le nom de cerveau à répartition nodale, capable, en principe, de traduire sans effort toutes les nuances du langage de Genar-Hofoen dans celui des Affronteurs et vice versa, en même temps qu’il transformait efficacement n’importe quel autre signal sonique, chimique ou électromagnétique en une information humainement intelligible.

Le problème, c’était que la capacité de traitement requise pour effectuer ce genre de tour de passe-passe technologique exigeait, conformément aux conventions de la Culture, que la combinaison soit intelligente. Genar-Hofoen avait insisté pour que le niveau d’autonomie soit fixé au minimum acceptable, mais la combinaison n’en avait pas moins son propre cerveau (même s’il était à « répartition nodale », expression technique dont il se flattait d’ignorer totalement le sens). Le résultat était un ensemble avec lequel il avait du mal à s’entendre, métaphoriquement parlant, mais dans lequel il se trouvait, au sens propre, parfaitement à son aise ; cela s’occupait à merveille de son confort, mais ne pouvait s’empêcher de le lui faire continuellement remarquer. Typique de la Culture, se disait Genar-Hofoen.

Habituellement, il réglait sa combinaison pour qu’elle offre à un Affronteur un aspect laiteux argenté sur toute sa surface, à l’exception de la tête et des mains, qui demeuraient transparentes.

Seuls les yeux n’avaient jamais une apparence tout à fait normale : il fallait qu’ils soient légèrement protubérants s’il voulait pouvoir cligner normalement. Le résultat était qu’il mettait généralement des verres fumés quand il sortait. Ils semblaient un peu incongrus dans le léger brouillard photochimique qui caractérisait l’atmosphère à une centaine de kilomètres sous la couche supérieure de nuages éclairée par le soleil du monde natal des Affronteurs, mais avaient leur utilité comme accessoire.

Par-dessus la combinaison, il portait généralement un gilet avec des poches pleines de gadgets, de présents et de gratifications, plus un double étui de hanche formant coquille à l’entrejambe et contenant une paire de pistolets antiques mais impressionnants. En termes de capacité offensive, ces armes conféraient surtout à Genar-Hofoen le minimum de respectabilité sans laquelle on voyait mal un Affronteur prendre au sérieux une si infime créature outremondière.

Pour le dîner régimental, Genar-Hofoen avait, non sans réticence, accepté les conseils du module où il vivait, et revêtu ce qui, au dire de ce dernier, était à la pointe de l’élégance en matière de cuissardes, pantalon collant, blazer court et manteau long porté en cape sur les épaules. En plus de deux pistolets encore plus gros qu’à l’accoutumée, il avait passé en bandoulière sur son dos une paire assortie de ce que le module lui avait affirmé être d’authentiques microrifles lourds, calibre trois millimètres, vieux de deux millénaires, mais en parfait état de fonctionnement, avec un canon très long et un éclat impressionnant. Il avait fait la grimace devant le huit-reflets à glands suggéré par le module, et ils avaient fini par s’accorder sur un compromis en l’espèce d’un demi-heaume blindé d’apparat qui donnait l’impression que six longs doigts métalliques lui entouraient l’occiput. Naturellement, chaque pièce de cet attirail était couverte de son équivalent de gélichamp, qui servait à la protéger de la froide et corrosive pression de l’environnement des Affronteurs. Néanmoins, avait expliqué le module avec insistance, cela n’empêcherait nullement les microrifles de fonctionner parfaitement au cas où, par politesse, il voudrait les utiliser.

— Monsieur ! glapit le jeune eunuque en amorçant un mouvement glissant précipité pour s’arrêter sur la surface nidale juste à côté de Quintidal.

Au creux de trois de ses membres se trouvait un large plateau rempli de flacons transparents à multiples parois, de tailles variées.

— Qu’est-ce qu’il y a ? hurla Quintidal.

— La pitance des Aliènes, monsieur !

Quintidal tendit un tentacule pour explorer le plateau, renversant la moitié des flacons. Le serveur les regardait basculer et rouler au bord avec une expression de terreur ébahie que Genar-Hofoen n’avait pas besoin d’expérience diplomatique pour déceler. Le danger couru par le serveur si l’un des récipients se cassait était probablement minime. Une implosion produisait relativement peu d’éclats, et le contenu, toxique pour les Affronteurs, gèlerait beaucoup trop rapidement pour représenter un grand risque. Mais le châtiment encouru par un serveur qui faisait ainsi montre en public de son incompétence devait être proportionnellement beaucoup plus grave, et la créature avait raison de se faire du souci.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Quintidal en soulevant une bouteille sphérique aux trois quarts pleine de liquide pour la secouer vigoureusement devant le bec juvénile de l’eunuque. C’est quelque chose qui se boit ? Hein ? Oui ou non ?

— Je ne sais pas, monsieur, gémit le serveur. On… On dirait…

— Imbécile, maugréa Quintidal.

Il présenta la bouteille à Genar-Hofoen en un mouvement gracieux.

— Honorable invité, dit-il, daigne nous faire savoir si nos efforts te satisfont.

Genar-Hofoen s’inclina et prit la bouteille. Quintidal se tourna vers le serveur pour crier :

— Et alors ? Tu vas rester là à flotter jusqu’à la fin des temps ? Porte le reste à la table du bataillon des Parleurs-Sauvages, crétin !

Il lança un tentacule en direction du jeune eunuque, qui s’affaissa de manière spectaculaire. Son sac à gaz se dégonfla, et il se mit à courir sur la membrane de sol vers l’espace des banquets, slalomant entre les Affronteurs qui commençaient à s’y rendre par petits groupes.

Quintidal se tourna un instant pour rendre à un autre officier de la Force Diplomatique sa claque de cordialité. Puis il fit de nouveau volte-face, sortit de l’une des poches de son uniforme une ampoule de fluide et la cogna doucement contre la bouteille que tenait Genar-Hofoen.

— À l’avenir des relations Affront-Culture ! tonna-t-il. Puisse notre amitié être durable et nos guerres courtes.

Il pressa l’ampoule pour faire jaillir le fluide dans son bec.

— Qu’elles soient si courtes qu’on puisse les éviter entièrement, répliqua Genar-Hofoen d’une voix un peu lasse, moins par sincérité que parce que c’était le genre de propos qu’on attendait d’un ambassadeur de la Culture.

Quintidal laissa entendre un reniflement de dérision, puis fit un bref écart, apparemment dans le but d’introduire le bout d’un tentacule dans l’anus d’un capitaine de la Flotte qui passait par là. Ce dernier écarta prestement le tentacule et fit claquer son bec avec hostilité avant de se joindre au rire de Quintidal et d’échanger avec lui des saluts tonitruants et des claques retentissantes dignes de vieux amis. Genar-Hofoen savait que ce genre de chose allait être monnaie courante ce soir. Il s’agissait d’une réunion entre mâles, et la soirée n’allait pas manquer d’animation, même selon les critères affrontiers.

Genar-Hofoen porta le goulot de la bouteille à ses lèvres. La combinaison gélichamp s’y enroula, égalisa les pressions, déboucha la bouteille puis, tandis que Genar-Hofoen penchait la tête en arrière, procéda à l’équivalent, pour son cerveau, d’une longue réflexion avant de laisser couler une petite gorgée de liquide dans la gorge de son occupant.

Mélange eau-alcool cinquante-cinquante, plus quelques traces de substances chimiques quasi végétales et partiellement toxiques, fit une voix dans la tête de Genar-Hofoen. Ça ressemble plus ou moins à du Leisetsiker. À votre place, je m’abstiendrais.

~ À ma place, combi, vous ne demanderiez qu’à vous soûler, uniquement pour oublier le désagrément d’avoir à subir continuellement votre contact intime, répliqua Genar-Hofoen tout en buvant.

Oh ! Je vois qu’on est d’humeur massacrante, hé ? fit la voix.

~ Je revêts mon humeur en même temps que vous.

— Alors, pas trop mauvais, selon tes critères bizarres ? s’enquit Quintidal en inclinant ses tiges oculaires vers la bouteille.

Genar-Hofoen hocha la tête tandis que l’alcool lui réchauffait la gorge jusqu’à l’estomac. Il toussa, ce qui eut pour effet de mettre momentanément le gélichamp en boule autour de sa bouche, comme une bulle argentée de gomme à mâcher. Il savait que, pour Quintidal, c’était l’une des deux choses les plus amusantes qu’un humain puisse faire à l’intérieur d’une gélicombe. Seul un éternuement était parfois plus hilarant.

— Toxique et malsain, dit Genar-Hofoen à l’Affronteur. L’imitation est parfaite. Mes compliments au chimiste.

— Je transmettrai, déclara Quintidal en écrasant son ampoule avant de la lancer négligemment à un serveur qui passait. Suis-moi, maintenant, ajouta-t-il en reprenant la main de l’humain. Nous allons passer à table. J’ai l’estomac aussi vide que les tripes d’un couard avant la bataille.

 

— Non, non, il faut le faire claquer, comme ça, stupide humain, ou ce sont les carnouilles qui vont tout avoir. Regarde bien.

Les dîners officiels affrontiers se tenaient autour d’un ensemble de gigantesques tables circulaires pouvant atteindre une quinzaine de mètres de diamètre et donnant sur des fosses-arènes où des combats d’animaux se déroulaient pendant le repas.

Dans l’ancien temps, lorsque des banquets étaient organisés par les militaires au sein de la haute société affrontière, l’attraction principale était régulièrement constituée par des duels entre des groupes variés de prisonniers outremondiers, malgré le fait que ces manifestations coûtaient horriblement cher en raison des problèmes techniques soulevés par les différents métabolismes et pressions en présence (sans parler du danger réel pour les invités. Qui aurait pu oublier la sinistre catastrophe de 334, à la table des Balafrais, où tous les invités connurent une fin honorable, quoique salissante, à la suite de l’explosion du dôme d’une fosse-arène simulant l’atmosphère d’une géante gazeuse ?). En vérité, dans les milieux influents de la haute société affrontière, l’un des arguments le plus souvent invoqués contre la participation de l’Affront à des associations plurimondistes était que l’obligation de traiter courtoisement les espèces inférieures (au lieu de donner à ces brutes l’occasion de prouver leur vaillance face à la force glorieuse des armes affrontières) avait pour résultat de rendre nettement plus fastidieux, en général, les dîners en ville.

En quelques occasions spéciales, cependant, les combats mettaient encore aux prises deux Affronteurs ayant à vider une querelle de nature suffisamment déshonorable, ou encore deux criminels. Le règlement exigeait d’habitude que les adversaires soient entravés, attachés l’un à l’autre et armés de couteaux à émincer à peine plus consistants que des épingles de cravate, de sorte que le combat dure le plus longtemps possible. Genar-Hofoen n’avait jamais été convié à l’un de ces banquets, et ne s’attendait guère à l’être un jour ; ce n’était pas le genre de chose que l’on aimait laisser des étrangers observer. De plus, la lutte pour s’assurer des places à ce genre d’événement était à peine moins féroce que le spectacle auquel chacun brûlait d’assister.

Le dîner de ce soir commémorait le mille huit cent quatre-vingt-cinquième anniversaire de la première bataille spatiale décente des Affronteurs contre un ennemi digne de ce nom. Les attractions étaient en rapport avec les différents plats servis : le poisson, par exemple, fut accompagné par l’inondation partielle de la fosse-arène avec de l’éthane, dans lequel on lâcha des poissons de combat spécialement élevés pour l’occasion. Quintidal prit un grand plaisir à décrire à l’humain la nature unique de ces animaux, pourvus de gueules si spécialisées qu’ils étaient incapables de se nourrir normalement et devaient, pour se maintenir en vie, sucer les fluides vitaux d’une autre espèce spécialement modifiée pour s’adapter à leurs mâchoires.

Le plat suivant était constitué de petits animaux comestibles que Genar-Hofoen trouva légèrement velus et plutôt mignons. Ils couraient au-dessus de la fosse-arène dans une piste-rainure ménagée sur le pourtour de la grande table, poursuivis par quelque chose de long et de glissant, avec de nombreuses dents aux deux extrémités. Les Affronteurs poussaient des clameurs, frappaient sur la table, échangeaient des paris et des insultes, et embrochaient les petites créatures avec de longues fourchettes tout en enfournant des versions cuisinées des mêmes animaux dans leurs becs.

Les carnouilles constituaient le plat de résistance. Deux groupes de ces animaux, chacun de la taille d’un humain corpulent, mais à huit membres, essayaient de se mettre en pièces à l’aide de mâchoires-prothèses et de griffes artificielles tranchantes comme des rasoirs. Pendant ce temps, des cubes de carnouille étaient servis à chaque convive sur d’énormes plateaux de matière végétale compactée. Les Affronteurs considéraient cela comme l’attraction principale du banquet. Chacun avait enfin l’autorisation de se servir de son miniharpon – le plus impressionnant des couverts disposés à chaque place – pour embrocher des cubes de viande sur le plateau de l’un de ses voisins et, en faisant adroitement claquer le câble attaché au harpon, comme Quintidal essayait en ce moment de l’enseigner à l’humain, transférer sa prise sur son propre plateau, dans son bec ou ses tentacules, sans la laisser tomber dans la fosse-arène où se trouvaient les carnouilles, ni la laisser intercepter par un autre convive, ni la faire tomber sur son sac à gaz, où elle aurait été perdue pour tout le monde.

— Le plus beau, expliqua Quintidal en lançant son harpon sur le plateau d’un Amiral distrait par son propre coup manqué, c’est que la cible la plus facile, généralement, est celle qui est la plus éloignée.

Il poussa un grognement et fit claquer son câble, soustrayant la carnouille à l’Amiral une fraction de seconde avant que l’officier assis à la droite de ce dernier ait eu le temps de réagir pour intercepter la prise. Le morceau convoité décrivit dans l’air une élégante trajectoire qui se termina sur un claquement de bec de Quintidal, sans que celui-ci ait même eu à se lever de sa place pour happer sa proie. Il pivota sur sa droite puis sur sa gauche sous les applaudissements nourris des convives, qui faisaient claquer leurs tentacules pour manifester leur admiration, puis il se laissa aller en arrière dans la cage rembourrée en Y qui lui servait de siège.

— Tu vois ? fit-il en recrachant le harpon et le câble avant de déglutir.

— Je vois, déclara Genar-Hofoen, encore occupé à enrouler le câble de son harpon après sa dernière tentative infructueuse.

Il était assis à la droite de Quintidal, dans une cage en Y modifiée simplement en fixant une traverse d’un bord à l’autre. Ses pieds pendaient au-dessus de la rigole à déchets qui faisait le tour de la table et d’où s’exhalait une puanteur, lui assura sa combinaison, propre à satisfaire le plus exigeant des gourmets affrontiers. Il se baissa soudain sur le côté, au risque de perdre l’équilibre, pour esquiver un harpon qui volait sur sa gauche et le manqua de justesse.

Il accepta de bonne grâce les rires et les excuses un peu appuyées de l’officier Affronteur assis cinq places plus loin, qui visait le plateau de Quintidal, ramassa poliment le harpon et son câble et les restitua à leur propriétaire. Puis il s’appliqua à piquer dans les récipients pressurisés devant lui des morceaux divers de nourriture informe qu’il transférait dans sa bouche à l’aide d’un instrument en gélichamp imitant une main à quatre doigts. Les jambes pendantes au-dessus de la rigole à déchets, il se faisait l’effet d’un enfant assis à table entre des adultes.

— On a failli vous avoir, hein, l’humain ? Ha ! ha ! ha ! tonna le colonel de la Force Diplomatique assis près de lui de l’autre côté par rapport à Quintidal.

Il lui donna une claque dans le dos avec un tentacule. Genar-Hofoen faillit être projeté de son siège sur la table.

— Scusez-moi, fit le colonel en le rattrapant pour le rejeter en arrière avec un grincement strident.

Genar-Hofoen lui sourit poliment et ramassa ses verres fumés tombés sur la table. Le colonel de la Force Diplomatique répondait au nom d’Ira-Cible. C’était le genre de titre qui, de l’avis des diplomates de la Culture, pouvait regrettablement s’appliquer à presque tous leurs homologues de l’Affront.

Quintidal lui avait expliqué que le problème venait du fait que certaines sections de la Vieille Garde de l’Affront faisaient une sorte de complexe à l’idée que leur civilisation puisse seulement posséder un service diplomatique ; ils essayaient de compenser ce qui, aux yeux d’une autre espèce, craignaient-ils, pouvait passer pour une marque de faiblesse, en veillant à ce que ce soient uniquement les Affronteurs les plus agressifs et les plus xénophobes qui obtiennent les postes de diplomates, afin d’éviter que quiconque puisse se dire, chose ridicule et éminemment dangereuse, que l’Affront était en train de se ramollir.

— Allez, mon vieux, essaie encore ! Ce n’est pas parce que ton estomac ne supporte pas ce foutu truc que tu vas renoncer à rigoler avec nous !

Un harpon lancé de l’autre bout de la table vola par-dessus la fosse en direction du plateau de Quintidal. L’Affronteur l’intercepta adroitement et le relança à son propriétaire avec un gros éclat de rire. Celui qui l’avait lancé l’esquiva juste à temps, et un serveur qui passait derrière lui reçut le harpon en plein dans son sac. Il poussa un petit cri tandis que le gaz s’échappait en sifflant.

Genar-Hofoen regarda les morceaux de viande qui gisaient en tas sur le plateau de Quintidal.

— Pourquoi est-ce que je ne peux pas harponner ceux qui sont sur ton plateau ? demanda-t-il.

Quintidal se dressa, indigné.

— Le plateau de ton voisin ? beugla-t-il. Ce serait tricher, mon ami. Ou chercher à me provoquer en duel d’une manière particulièrement insultante. On ne vous enseigne donc pas les bonnes manières, à la Culture ?

— Mille pardons, fit Genar-Hofoen.

— Accordé, répliqua Quintidal en faisant ployer ses tiges oculaires avant de finir d’enrouler son câble.

Il porta à son bec un morceau de viande, et but une rasade tout en frappant la table, en même temps que tout le monde, du bout d’un tentacule, pour marquer son approbation devant l’attaque d’une carnouille qui venait de planter ses dents dans le cou d’une autre.

— Bien joué, ma belle, bien joué ! s’exclama-t-il. C’est le sept ! Mon numéro ! J’ai parié sur elle ! Tu vois, Arbragaz ? Qu’est-ce que je t’avais dit ?

Genar-Hofoen secoua légèrement la tête avec un sourire satisfait. De toute sa vie, il ne s’était jamais trouvé dans un environnement aussi radicalement étranger, à l’intérieur d’un tore de gaz froid et comprimé orbitant autour d’un trou noir, lui-même en orbite autour d’une naine brune située à des années de lumière de l’étoile la plus proche, entouré de vaisseaux pour la plupart en forme de bulbe dentelé typique de l’Affront, et principalement rempli de joyeux Affronteurs de l’espace, avec leur collection habituelle d’espèces-victimes. Et pourtant, il ne s’était jamais senti si parfaitement chez lui.

Genar-Hofoen, c’est moi, Scopell-Afranqui, fit une autre voix dans sa tête.

C’était le module, qui communiquait avec lui par l’intermédiaire de sa combinaison.

J’ai un message urgent pour vous, reprit la voix.

~ Ça ne peut pas attendre ? demanda Genar-Hofoen. Je suis très occupé par des questions d’étiquette qui ne souffrent pas la moindre incorrection.

Non, ça ne peut pas attendre. Pourriez-vous rentrer tout de suite, s’il vous plaît ?

~ Hein ? Pas question que je m’en aille. Vous êtes fou ? Je viens juste d’arriver.

Pas du tout, vous m’avez quitté depuis quatre-vingts minutes, et vous en êtes déjà au plat principal de cette parodie de dîner qui ressemble plutôt à un cirque. Je vois tout ce qui se passe à travers votre stupide combinaison qui…

Ce n’était pas la peine ! intervint la combinaison.

Taisez-vous ! fit le module. Genar-Hofoen, vous rentrez ou vous ne rentrez pas ?

~ Je ne rentre pas.

Très bien. Permettez-moi de vérifier d’abord les priorités de communication… Voilà. L’état actuel de…

— … parier, ami humain ? était en train de dire Quintidal en abattant un tentacule sur la table devant Genar-Hofoen.

— Hein ? Un pari ? demanda Genar-Hofoen en repassant vivement dans sa tête ce que venait de dire l’Affronteur.

— Cinquante sacs sur le deuxième à partir de la porte rouge ! rugit Quintidal en jetant un coup d’œil aux autres officiers à droite et à gauche.

Genar-Hofoen abattit sa main à plat sur la table.

— Pas assez ! hurla-t-il.

Il sentit sa voix amplifiée dans la traduction que donna aussitôt la combinaison. Plusieurs tiges oculaires s’orientèrent dans sa direction.

— Deux cents sur le col bleu !

Quintidal, qui était issu d’une famille que l’on pouvait qualifier d’aisée plutôt que riche, et pour qui cinquante sacs représentaient la partie disponible d’un demi-mois de solde, tiqua de manière microscopique. Puis il abattit un second tentacule sur le premier en s’écriant de manière théâtrale :

— Foutriquet d’outremonde ! Tu voudrais insinuer que deux cents misérables sacotins sont un pari à la hauteur d’un officier de mon acabit ? Deux cent cinquante !

— Cinq cents ! hurla Genar-Hofoen en abattant son second bras.

— Six cents ! beugla Quintidal en laissant tomber un troisième membre sur les deux premiers.

Il regarda autour de lui d’un air satisfait tandis qu’éclatait un rire général. L’humain était désormais à court de membres.

Mais Genar-Hofoen pivota sur son siège et fit décrire une trajectoire semi-circulaire à sa jambe gauche, dont la botte retomba avec fracas sur la table à côté de ses mains.

— Mille sacs, vieille peau desséchée !

Quintidal lança un cinquième tentacule par-dessus les quatre membres déjà posés sur la table devant Genar-Hofoen, où l’espace commençait à manquer.

— Pari tenu ! rugit l’Affronteur. Et estime-toi heureux ! J’ai eu pitié de toi ! Si j’avais surenchéri, tu serais en ce moment sur le cul dans la fosse à déchets, misérable infirme !

Quintidal éclata d’un rire tonitruant en regardant l’un après l’autre les officiers qui l’entouraient. Ils se mirent à rire eux aussi, les jeunes par devoir, les autres – ses amis et ses proches collègues – avec une certaine exagération, une sorte de désespoir par procuration ; le pari était d’un montant susceptible de mettre n’importe qui en difficulté avec son administration, sa banque, ses parents ou les trois à la fois. D’autres encore les regardaient avec une expression que Genar-Hofoen avait appris à reconnaître comme sardonique.

Quintidal remplit avec enthousiasme les ampoules de ses voisins et fit chanter à toute la tablée la chanson du Maître-de-fosse-que-l’on-va-faire-rôtir-à-petit-feu-s’il-ne-se-décide-pas-à-se-bouger-le-train.

~ Bon, pensa Genar-Hofoen. Qu’est-ce que vous étiez en train de dire, module ?

Voilà un pari plutôt inconsidéré, si vous me permettez l’expression, Genar-Hofoen. Mille sacs ! Quintidal ne peut se permettre ce genre de folie, s’il perd, et nous ne voulons pas avoir l’air trop prodigues de nos fonds, s’il gagne.

Genar-Hofoen s’autorisa un léger sourire sardonique.

L’autre avait le chic pour gâcher le plaisir à tout le monde.

~ Quel dommage ! pensa-t-il. Bon, et ce message ?

Je pense pouvoir le faire passer à travers ce qui sert de cerveau à votre combinaison…

Très désobligeant, interrompit cette dernière.

… sans que nos amis ici présents puissent l’intercepter, continua le module. Vous n’aurez qu’à vous envoyer une petite vitose, et…

Pardonnez-moi, interrompit de nouveau la combi, mais je pense que Byr Genar-Hofoen va y réfléchir à deux fois avant d’endocriner une drogue aussi puissante que la vitose en de telles circonstances. Il est sous ma responsabilité quand il est en dehors de votre localité immédiate, Scopell-Afranqui. Reconnaissez-le franchement. C’est bien beau d’être assis là-haut derrière son bureau comme un…

Restez en dehors de ça, espèce de membrane vide, dit le module à la combi.

Hein ? Comment osez-vous…

~ Allez-vous la fermer, tous les deux ? fit Genar-Hofoen en faisant un effort surhumain pour ne pas hurler.

Quintidal était en train de lui dire quelque chose sur la Culture, et il en avait déjà raté la première partie pendant que les deux machines lui remplissaient la tête de leurs chamailleries.

— … ne peut être plus excitant que ça, hein, Genar-Hofoen ?

— Sûrement pas ! hurla-t-il pour couvrir le bruit de la chanson.

Il plongea son instrument gélichamp dans l’un des récipients de nourriture et le porta à ses lèvres. Puis il sourit et fit mine de gonfler ses joues pour mieux savourer ce qu’il mangeait. Quintidal éructa, enfourna dans son bec un bloc de viande gros comme la moitié d’une tête humaine, et se pencha de nouveau vers ce qui se passait dans la fosse-arène, où une nouvelle paire de carnouilles tournait lentement l’une autour de l’autre pour s’étudier. Les deux animaux semblaient de même force, jugea-t-il.

Je peux parler, maintenant ? demanda le module.

~ Oui, fit Genar-Hofoen. Qu’y a-t-il ?

Comme je l’ai déjà dit, c’est un message urgent.

~ De qui ?

Le VSG Mort et Gravité.

~ Ah oui ? fit Genar-Hofoen, modérément impressionné. Je croyais que cette vieille fripouille ne m’adressait plus la parole.

C’est ce que nous pensions tous. Apparemment, ce n’est plus le cas. Bon, vous le voulez ou non, ce message ?

~ D’accord, mais je ne vois pas pourquoi je serais obligé d’endocriner de la vitose rien que pour ça.

Parce que c’est un long message, tiens ! En fait, il s’agit d’un message interactif, d’un ensemble de signaux à contexte sémantique intégral, doté d’un condensé d’état mental capable de répondre à vos questions. Si vous l’écoutiez en temps réel, vous seriez encore là, l’air complètement ahuri, au moment où vos hôtes joviaux en seraient au plat de la chasse-au-serveur. Sans compter qu’il s’agit d’une urgence. Je vous l’ai dit ou non ? J’ai parfois l’impression que vous ne faites pas assez attention, Genar-Hofoen.

~ Je fais foutrement attention, justement. Mais dites, vous ne pouvez pas me le résumer un tout petit peu ?

Le message s’adresse à vous et non à moi, Genar-Hofoen. Je n’en ai pas pris connaissance. Il sera déchiffré en cours de transmission.

~ D’accord, d’accord. Je suis endocriné. Envoyez.

Je persiste à dire que ce n’est pas une très bonne idée, murmura la combi géli.

La ferme ! fit le module. Pardonnez-moi, Genar-Hofoen. Voici le texte du message. Du VSG Mort et Gravité à Seddun-Braijsa Byr Fruel Genar-Hofoen dam Oïs, début de message, continua-t-il de sa voix officielle.

Puis une autre voix prit la suite :

Genar-Hofoen, je n’irai pas jusqu’à dire que je suis heureux de communiquer de nouveau avec vous. Néanmoins, certaines personnes dont je respecte et admire le jugement et les opinions m’ont prié de le faire, et il semble que la situation soit telle que j’aurais négligé mon devoir en refusant de m’acquitter de cette obligation au mieux de mes capacités.

Genar-Hofoen poussa l’équivalent mental d’un soupir, le menton dans les mains, tandis que, grâce à la vitose qui circulait maintenant dans son système nerveux central, tout ce qui se passait autour de lui semblait se dérouler au ralenti. Le Véhicule Système Général Mort et Gravité était déjà un vieux forban intarissable à l’époque où il l’avait connu, et rien ne semblait avoir modifié, depuis, son style de conversation. Même sa voix sonnait de la même façon : à la fois pompeuse et monotone.

En foi de quoi, et compte tenu de votre esprit de contradiction notoire doublé d’une perversité naturelle et fondamentalement discutailleuse, je veux bien communiquer avec vous en vous transmettant le présent message sous la forme d’un signal interactif. Je vois que vous êtes actuellement l’un de nos ambassadeurs auprès de cette bande de gamins cruels et de rustres parvenus connue sous le nom d’Affront. J’ai le sentiment profondément affligé que, bien que cette mission vous ait sans doute été confiée à titre de punition subtile pour je ne sais quelle faute que vous avez dû commettre, vous vous êtes probablement adapté avec un empressement répugnant à l’atmosphère qui règne là-bas, sinon à la difficulté de la tâche, que vous allez conduire, je suppose, avec le mélange habituel d’insouciance brutale et d’égocentrisme outré qui vous caractérise si…

~ Si ce signal est vraiment interactif, interrompit Genar-Hofoen, voyez-vous un putain d’inconvénient à ce que je vous demande d’en venir au fait ?

Il regarda les deux carnouilles qui s’affrontaient, raidies, au ralenti, dans la fosse-arène.

Le fait est que vos hôtes vont devoir se passer quelque temps de votre ignoble compagnie.

~ Hein ? Et pourquoi ? demanda Genar-Hofoen, immédiatement suspicieux.

Il a été décidé – et je m’empresse de préciser que je n’ai rien à voir dans tout ça – d’utiliser vos services ailleurs.

~ Ailleurs ? Où ça ? Et combien de temps ?

Je ne peux pas vous dire où exactement, ni pour combien de temps.

~ Mais vous pouvez essayer.

Je n’en ai ni le droit ni l’envie.

~ Module, mettez fin à ce message.

Vous en êtes sûr ? demanda Scopell-Afranqui.

Attendez ! fit la voix du VSG. Serez-vous satisfait si je vous dis que nous allons avoir besoin de quatre-vingts jours de votre temps environ ?

~ Certainement pas. Je suis parfaitement bien ici. On m’a fourré dans toutes sortes de pétrins merdiques de Circonstances Spéciales, en me disant chaque fois : Allons, tu ne pourrais pas faire un tout petit boulot pour nous ? Sois gentil, rien qu’un.

Cela ne correspondait pas tout à fait à la vérité. Il n’avait opéré qu’une seule fois, en réalité, pour les CS, mais il connaissait – quelquefois indirectement – des tas de gens qui avaient eu des déboires en travaillant pour le département de l’espionnage et des mauvais coups de la Section Contact.

Je n’ai jamais…

~ De plus, interrompit Genar-Hofoen, j’ai un travail à finir ici. J’ai une nouvelle audience devant le Grand Conseil dans un mois. Il faut que je leur dise de se montrer un peu plus gentils avec leurs voisins, ou nous allons être obligés de leur taper sur les palettes. J’ai besoin de plus de détails sur cette nouvelle affaire excitante, ou vous pouvez vous brosser.

Je n’ai jamais dit que je parlais au nom de Circonstances Spéciales.

~ Vous niez que ce soit le cas ?

Pas exactement, mais…

~ Alors, cessez de tourner autour du pot. Qui d’autre peut essayer d’arracher ainsi un ambassadeur particulièrement doué et compétent à ses… ?

Genar-Hofoen, nous sommes en train de perdre notre temps avec ces…

~ Nous ? fit l’humain en contemplant les deux carnouilles en train de se jeter lentement l’une sur l’autre. Ça ne fait rien. Continuez.

La mission que l’on veut vous confier est apparemment très délicate, et c’est la raison pour laquelle je vous considère comme particulièrement inapte en la matière. Par conséquent, il serait ridicule d’en confier les détails soit à moi-même, soit à votre module, soit à votre combinaison, soit à vous, jusqu’à ce que le besoin s’en fasse vraiment sentir.

~ Vous avez mis le doigt dessus. C’est précisément pour cela que vous pouvez vous brosser. Toutes ces conneries de priorité d’information CS… Rien à foutre, moi, de vos missions délicates. Pas question que je m’y intéresse une seconde tant que je ne saurai pas exactement de quoi il retourne.

Les carnouilles étaient à présent en plein bond. Elles se retournèrent en l’air. Merde, se dit Genar-Hofoen, c’était peut-être un de ces combats d’animaux où tout se jouait dès le premier acte, selon la bête qui enfonçait la première ses crocs dans le cou de l’autre.

Ce qui vous est demandé, dit le message en une approximation passable de la manière dont Mort et Gravité avait toujours sonné quand il était vraiment exaspéré, c’est quatre-vingts jours de votre temps, dont les quatre-vingt-dix-neuf à quatre-vingt-dix-neuf virgule neuf pour cent ou plus seront passés à ne rien faire de plus risqué ou fatigant que de vous laisser transporter d’un point A à un point B. La première partie du voyage consistera à vous déplacer, dans des conditions de confort maximales, j’imagine, à bord d’un vaisseau affrontier que nous demanderons à son propriétaire (contre paiement, probablement) de mettre à votre disposition. La deuxième partie se déroulera, dans un confort garanti, cette fois-ci, à bord d’une UCG de la Culture. Elle sera suivie d’une brève visite dans un autre vaisseau de la Culture, où la tâche que nous vous demanderons d’accomplir sera exécutée. Et lorsque je parle de brève visite, cela signifie que vous pourrez très bien vous acquitter de votre mission en moins d’une heure, en tout cas pas plus d’une journée en mettant les choses au pire. Vous effectuerez alors le voyage de retour, pour reprendre vos occupations avec vos chers amis et alliés de l’Affront au point où vous les avez laissées. Je suppose que la tâche ne vous paraît pas trop épuisante, n’est-ce pas ?

Les carnouilles étaient en train de se rencontrer dans l’air à un mètre au-dessus du centre de la fosse-arène, leurs mâchoires tendues de leur mieux vers leurs gorges respectives. C’était encore assez difficile à dire, mais Genar-Hofoen avait l’impression que les choses ne s’annonçaient pas très bien pour la bête de Quintidal.

~ Oui, oui, oui, ce n’est pas la première fois que j’entends ce genre de chose, M et G. Quel est mon intérêt dans tout ça ? Pourquoi est-ce que je… Oh, et puis merde !

Qu’y a-t-il ? demanda le message de Mort et Gravité.

Mais l’attention de Genar-Hofoen était ailleurs.

Les deux carnouilles s’étaient heurtées en plein vol, liées dans une mêlée mortelle, pour retomber au sol en gigotant lentement de tous leurs membres. L’animal au col bleu avait refermé ses mâchoires autour de la gorge de celui au col rouge. La plupart des Affronteurs avaient commencé à pousser des clameurs. Quintidal et ses partisans hurlaient à tue-tête.

Bordel !

~ Combi ? appela Genar-Hofoen.

Qu’est-ce qu’il y a ? demanda le gélichamp. Je croyais que vous étiez en train de parler au…

~ Ne vous occupez pas de ça pour l’instant. Vous voyez cette carnouille bleue ?

Impossible de détacher mon regard ou le vôtre de cette foutue bestiole.

~ Effectorisez-la. Faites-la lâcher l’autre putain de bête.

Je ne peux pas faire ça ! C’est tricher !

~ La peau du cul de Quintidal est dans la balance, combi. Obéissez tout de suite, ou vous porterez la responsabilité d’un incident diplomatique majeur. À vous de voir.

Hein ? Mais…

~ Effectorisez-la immédiatement, combi. Allez ! Je sais très bien que votre dernière version est capable de s’introduire dans leur système de monitorage. Regardez-moi ça ? Vous ne sentez pas ces crocs prothétiques sur votre cou ? Quintidal doit être en train de dire adieu à sa carrière diplomatique. Il est probablement en train de chercher un prétexte pour me provoquer en duel. De toute manière, ça n’aura plus beaucoup d’importance, que ce soit lui qui me tue ou le contraire. Il va probablement y avoir la guerre entre…

D’accord, d’accord, je fais ce que vous voulez !

Il y eut une sensation de picotement au sommet de l’épaule droite de Genar-Hofoen. La carnouille rouge eut un sursaut. La bleue se plia en deux au niveau de l’abdomen et relâcha sa prise. La rouge se dégagea de dessous l’autre et renversa immédiatement la situation, plantant sa mâchoire-prothèse dans la gorge de la bête au col bleu. À côté de Genar-Hofoen, au ralenti, Quintidal était en train de s’élever dans l’air.

~ Bon, qu’étiez-vous en train de dire, M et G ?

Pourquoi ce décalage ? À quoi étiez-vous occupé ?

~ Sans importance. Comme vous le disiez, le temps est précieux. Finissez.

Je suppose que c’est l’appât du gain qui vous motive. Que désirez-vous ?

~ Fichtre ! Voyons voir. Je pourrai avoir mon vaisseau privé ?

C’est négociable, à ce que j’ai cru comprendre.

~ J’espère bien.

En fait, vous pouvez avoir tout ce que vous demanderez. Ça vous va ?

~ Oh ! Pourquoi pas ?

Genar-Hofoen, je vous en supplie, dites-moi que vous acceptez !

~ C’est vous qui me suppliez, maintenant, M et G ?

Genar-Hofoen éclata de rire dans sa tête tandis que la carnouille au col bleu se tordait désespérément dans l’étau des mâchoires de l’autre et que Quintidal se tournait lentement vers lui.

Je vous supplie, oui ! Vous êtes content ? Vous accepterez ? Le temps presse !

Du coin de l’œil, Genar-Hofoen vit l’un des membres de Quintidal commencer à voler vers lui. Il se prépara lentement à amortir le choc.

~ Je vais y réfléchir, dit-il.

Mais… !

~ Coupez-moi ce signal, combi. Dites au module de ne pas attendre. Instruction prioritaire pour vous, à présent : mettez-vous hors circuit jusqu’à ce que je fasse de nouveau appel à vous.

Genar-Hofoen mit fin aux effets de la vitose. Puis il sourit et poussa un discret soupir de soulagement tandis que le tentacule triomphal de Quintidal s’abattait sur son dos avec un bruit à faire claquer les dents et que la Culture perdait mille sacs. La soirée s’annonçait marrante.

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